Dans la philosophie du yoga et des traditions spirituelles de l’Inde, le concept de Māyā occupe une place centrale.

Souvent traduit par « illusion du monde perçu", ce terme recouvre en réalité une signification plus subtile et profonde : certaines traditions pensent que le monde objectif est une illusion totale, tandis que d’autres ont une approche plus nuancée.

Intéressons nous plus particulièrement à la vision tantrique puisque les pratiques énergétiques du Yoga tantrique accordent la possibilité aux yogis de prendre conscience de Māyā et de la transcender.

Dans la tradition tantrique, une seule affirmation fondamentale est acceptée sans condition : le monde objectif, tel que nous le percevons à travers nos sens et notre pensée discursive, est une illusion. Ce concept, connu sous le nom de Māyā, est central et guide la quête spirituelle du yogi vers la réalité absolue.

Notre perception ordinaire est limitée et conditionnée par nos sens, notre intellect et nos expériences personnelles. Cela crée une sorte de voile qui nous empêche de voir la vérité ultime, qui est souvent identifiée dans ces traditions comme étant la réalité absolue (le Brahman, la conscience pure, ou l'Unité). Cette réalité absolue est éternelle, immuable, et transcendante, et elle est au-delà de toute forme d'illusion.

La quête spirituelle du yogi dans cette perspective consiste à transcender cette illusion, afin d'atteindre une compréhension directe de la réalité ultime.

Cette compréhension constitue une clé essentielle pour dépasser les limites de la perception ordinaire et accéder à une connaissance plus profonde de l’existence. La compréhension de Māyā permet au yogi de dissiper l'illusion, et donc de dépasser les dualités (comme le bien et le mal, le soi et l'autre) et d'expérimenter une unité profonde avec l'univers.

Cela passe par une série de pratiques et d'expériences méditatives qui visent à affiner la conscience et à la libérer des limitations imposées par les sens et l'intellect.

Nos sens sont des miroirs tournés vers l’intérieur, réfléchissant une construction de notre mental. Ainsi, ce que nous percevons comme "réel" n’est qu’une projection de notre mental.

Cette “réflexion” de notre mental que nous percevons comme étant un monde extérieur, un “Non-Moi”, nous donne l’illusion d'un monde séparé de nous. Alors qu’en réalité il n’y a que le Moi.

Dans cette perspective, le monde extérieur n’existe pas en tant que réalité indépendante. Ce que nous appelons la "réalité objective" est en fait une image mentale façonnée par notre propre mental. Les sensations ne sont pas "produites" par le monde extérieur, mais bien par nos états mentaux.

En d'autres termes, ce que nous percevons comme un "monde extérieur" n'est en réalité qu'une construction mentale, façonnée par nos sens, nos pensées et nos expériences personnelles (les conditionnements).

Ce n'est pas une représentation objective et absolue du monde, mais plutôt une version filtrée et modifiée par notre propre mental. Chaque individu perçoit ce monde à travers un prisme unique, influencé par son mental, ses conditionnements et ses expériences passées. Ainsi, le monde que nous expérimentons n'est pas le "monde réel" en soi, mais une interprétation subjective de ce monde, filtrée par notre propre perception.

Le tantrisme compare cette illusion à un miroir reflétant une image : tout comme un animal devant un miroir pourrait croire voir un autre être alors qu’il ne fait qu’observer son propre reflet, nous nous méprenons sur la nature du monde en pensant qu’il est distinct de nous.

Il ne nie pas la réalité de l'expérience sensorielle, mais la considère comme relative, une sorte d’apparence de la vérité, une vérité qui nous échappe si nous restons attachés à ces perceptions sensibles. L’erreur réside dans notre tendance à la considérer comme une vérité absolue et extérieure à nous-mêmes.

Le Yoga est progressif, il ne révèle pas la réalité absolue instantanément. Il aide d’abord à comprendre les mécanismes de Māyā, ces “constructions” de notre mental et à organiser nos perceptions sensibles en établissant des postulats, et en permettant de les expérimenter, ce qui nous aide pour notre quotidien mais cette "réalité" reste une illusion relative.

Dans un premier temps, il n’est donc pas cherché à découvrir la réalité ultime (qui est au-delà de Māyā), mais déjà prendre conscience des mécanismes du mental et structurer les apparences que nous vivons au quotidien.

Cela implique de comprendre comment nos perceptions fonctionnent, comment elles se relient entre elles, et comment elles sont influencées par notre mental.

Cela peut être comparé à la manière dont une carte géographique est une représentation, non pas du monde réel en lui-même, mais de certaines relations spatiales qui nous aident à naviguer dans ce monde. Cela organise les phénomènes que nous percevons, mais elle ne prétend pas nous donner accès à la réalité ultime.

Bien que ce monde soit une image subjective, ces perceptions peuvent être analysées et structurées pour mieux comprendre comment nous créons et interagissons avec cette réalité relative.

Par ailleurs, le Yoga peut également amener vers une connaissance directe de la réalité absolue, au-delà de l'illusion des sens et de la pensée discursive.

Cette connaissance ne peut être acquise que par des pratiques spirituelles spécifiques, permettant à l'individu d'accéder à un état de conscience supérieur. Ce mode de connaissance est extra-naturel, c’est-à-dire qu’il dépasse les capacités naturelles de perception et offre une forme de réalisation directe de la réalité ultime.

Le Yoga, notamment les pratiques énergétiques issues du courant tantrique, nous invite à transcender l’illusion du monde objectif et à explorer la véritable nature de la réalité. Par la pratique du Yoga, nous pouvons dépasser Māyā et accéder à une connaissance qui dépasse les limites de la perception ordinaire. Ce cheminement, bien que complexe et exigeant, ouvre la porte à une compréhension ultime de l'existence, libérée des illusions qui emprisonnent la conscience humaine.